La Cour d’appel se penche sur la question dans son arrêt Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus), 2021 QCCA 1310.
Le devoir de loyauté est régi par l’article 2088 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel comporte un volet contractuel (alinéa 1) et un volet post-contractuel (alinéa 2). Ce devoir inclut celui d’honnêteté et de confidentialité.
Ainsi, le salarié ne doit pas, pendant la durée de son contrat de travail, nuire aux intérêts légitimes de l’employeur, ce qui pourrait se traduire par l’appropriation de biens ou d’occasions d’affaires (détournement de clients vers des concurrents, incluant son futur employeur), ou encore en se plaçant en conflit d’intérêts, en mobilisant ses collègues contre l’employeur, etc.
La question dans cette affaire était de savoir si le devoir de loyauté contractuelle empêche un salarié de préparer son départ tout en demeurant en poste.
En effet, le salarié avait entamé ici des démarches pour se lancer en affaires tout en demeurant à l’emploi de son désormais ancien employeur, le temps que sa nouvelle compagnie puisse se mettre en opération.
Les principes à retenir
Tout comme l’employeur, le salarié a la capacité de mettre fin unilatéralement à son contrat de travail à durée indéterminée, et ce, quel que soit le motif, à la condition d’offrir un préavis raisonnable avant de partir.
Le salarié étant donc libre de changer d’emploi ou d’activité professionnelle, et ce, à son gré, il est également libre de faire les démarches et les préparatifs nécessaires à ce changement alors même qu’il est encore à l’emploi de celui ou celle qu’il entend quitter.
Le fait d’agir ainsi et de ne pas dévoiler son intention ou ses démarches à l’employeur ne peut être considéré comme un manquement au sens de l’art. 2088 al. 1 : il y a des limites légitimes à la franchise et à la transparence requise par le contrat de travail. Un salarié a le droit de garder pour lui son intention de changer d’emploi ou les démarches qu’il entreprend à cette fin (y compris lorsqu’il s’agit de se lancer en affaires).
La notion de conflits d’intérêts a également ses limites : le fait qu’un salarié se prépare à démissionner en planifiant sa sortie (y compris en projetant de travailler pour un concurrent ou en se préparant à concurrencer lui-même son employeur) n’est pas en soi un conflit d’intérêts, sous réserve de certaines obligations. Le salarié ne pourrait travailler sur son nouveau projet d’affaires durant ses heures de travail régulières. Il ne pourrait non plus utiliser, pour ce faire, les outils que son employeur met à sa disposition, ni profiter de l’occasion pour pirater les informations confidentielles de celui-ci (appropriation de clients, détournement d’occasions d’affaires, etc.).
Bref, tant que le salarié, pendant sa période de préparatifs (et même s’il se prépare à concurrencer éventuellement celui qui sera son ex-employeur), respecte ses obligations (c’est-à-dire qu’il exécute ses tâches avec diligence, compétence et honnêteté, tout en faisant primer les intérêts de son employeur), on ne peut pas lui reprocher de déloyauté.
Qu’en est-il de la loyauté post-constractuelle?
À moins de cas gravissime, celle-ci ne dure que trois ou quatre mois, ou plus rarement six mois, selon le rang hiérarchique du salarié. Il s’agit d’un concept que l’on doit appliquer avec modération et qui n’impose qu’une obligation temporaire à l’employé.
Ainsi, après la terminaison de son contrat de travail, le salarié qui n’est pas assujetti à une clause de non-concurrence (ou seulement de non-sollicitation ou de confidentialité prolongée) peut disposer à sa guise de l’expertise, des connaissances et des qualités qu’il a acquises ou développées au sein de l’entreprise de son ex-employeur, y compris en faisant concurrence à celui-ci et en cherchant à s’en approprier la clientèle, et ce, même vigoureusement.
Par contre, dans les quelques semaines ou mois suivant son départ, le salarié doit faire preuve d’une certaine retenue : ainsi, il ne doit pas user des renseignements confidentiels de son ancien employeur, solliciter agressivement les clients avec lesquels il entretenait une relation privilégiée lorsqu’il était encore chez l’employeur ou se livrer à du dénigrement systématique. Autrement dit, la loyauté n’exige pas l’absence de concurrence; plutôt, elle s’en accommode, mais requiert qu’elle soit, pour un temps, menée avec modération. Il ne s’agit en effet pas d’empêcher l’ex-salarié de travailler pour un concurrent ou de fonder une entreprise faisant concurrence à celle de l’employeur et de gagner ainsi sa vie.
Cet article se veut un résumé des principes établis par la Cour d’appel seulement, en aucun cas, il ne peut être interprété comme un avis juridique de la part de son auteure.